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Vivre le deuil durant l’épidémie : deuil symbolique et perte d’un être cher

Une des psychologues cliniciennes de l’association et une thérapeute familiale de l’association se sont associées pour rédiger cet article.

Vivre le deuil durant l’épidémie : deuil symbolique et perte d’un être cher

La pandémie du Covid 19 suscite aujourd’hui dans le monde un réel traumatisme. Dans l’espoir de limiter la contamination, plus de 3 milliards de personnes sont contraintes au confinement, seules ou en groupe. Les personnes âgées ont été les premières victimes du virus. Isolées de leurs proches, elles se sont souvent battues seules contre la maladie avant d’y succomber, sans que leurs proches ne soient auprès d’elles pour accompagner et soutenir leurs derniers instants. Les familles endeuillées n’ont pas pu revoir l’être cher et pratiquer autour de lui les rites funéraires tels qu’ils se pratiquent de façon universelle.

Dans ce contexte qui nous fait perdre nos repères, et face à l’absence de réponses aux questions que nous nous posons, le traumatisme que nous vivons est à la fois collectif et individuel. Le deuil que beaucoup d’entre nous traversent actuellement, est double.

  • D’une part, le confinement nous isole ou au contraire, nous oblige à cohabiter en permanence, nous faisant perdre nos espaces de solitude et d’intimité.
  • D’autre part, il nous faut faire face à la réalité de la contagion et de la mort, de la perte d’êtres chers.

« Le deuil est un traumatisme, une véritable secousse émotionnelle. Pour un temps, notre vision du monde en est affectée. Quelque chose meurt en nous. Il se vit comme un processus que l’on peut comparer à un voyage ou à un cheminement » explique Pascal Neveu, directeur de l’Institut Français de Psychanalyse Active. S’agissant de la perte d’un être cher, il ajoute : « Pendant ce voyage, il est important de revoir la personne en pensée. Il faut redonner corps à la mémoire du mort, parler de lui, lui rendre ainsi hommage »

E. Kubler-Ross a théorisé les différents stades émotionnels par lesquels passe la personne frappée par un deuil, et cela s’applique autant à la perte d’un être cher qu’à toute autre forme de perte catastrophique. Selon elle, le deuil se vit par étapes. Lorsque nous pensons aux épreuves imposées par le confinement, mais aussi par la perte d’un proche dans ce contexte, nous pouvons vivre ces différents états émotionnels :

La phase du déni nous laisse penser que cela ne peut pas nous atteindre, que le virus s’attaque à des populations éloignées (comme la population chinoise), que les habitudes alimentaires en sont à l’origine que notre mode de vie n’en sera pas affecté…

Arrive ensuite le choc ou la sidération, avec des sentiments de peur, de désorientation, ou des angoisses.

La phase de la colère nous pousse à chercher des coupables, des boucs émissaires externes (les asiatiques, les gouvernements, les ministres …). Nous avons besoin de trouver un responsable, de critiquer la pénurie de matériel (manque de masques, de respirateurs), l’inconscience de ceux qui ne respectent pas les consignes… A la maison la cohabitation nous pèse : tout nous énerve, les enfants font trop de bruit, ils ne font pas leurs devoirs, les tâches familiales sont trop lourdes…

La phase de marchandage pendant laquelle nous attendons des médecins un remède miracle. Nous avons peur de tomber malade, prions les dieux pour que notre pays, notre ville, nos proches, nos enfants, nous-mêmes, soient épargnés.

La phase dépressive nous fait vivre des sentiments de détresse, d’impuissance, de vulnérabilité et toute une série d’émotions face aux informations diffusées par les médias. Nous pensons que nous allons tous mourir, qu’il s’agit d’une punition divine. Nous sommes à la recherche du moindre symptôme de la maladie. Nous nous voyons malades, sans aucune possibilité d’être soignés (hôpitaux débordés), ni de nous enfuir (avions annulés, sorties restreintes…)

Arrive enfin la phase d’acceptation de la réalité où nous reprenons le contrôle de nos sentiments, nous acceptons la situation, nous essayons d’y voir du positif. « Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ». La créativité reprend le dessus : nous jouons avec nos enfants, nous découvrons leur monde ; ils font leurs devoirs et nous les y aidons. A l’écoute des informations, nous entendons parler des usines qui fabriquent des respirateurs ou produisent des masques, de la solidarité qui se déploie entre les citoyens, de la Chine qui se relève. Les familles participent à 20 heures aux applaudissements pour les soignants. Nous regardons le ciel et apprécions qu’il soit moins pollué ; nous écoutons le chant des oiseaux et admirons la nature qui reprend ses droits. Nous savourons les petites choses et découvrons la lenteur.

Reprenant l’image de Pascal Neveu, « le voyage du deuil s’accomplit dans un ordre propre à chacun ». Certains ne traversent pas toutes ces phases ; d’autres, au contraire, font des aller-retours entre deux étapes. Comprendre ce processus permet de donner du sens aux émotions traversées et peut amener à prendre conscience que nous avons besoin d’aide.

La noblesse d’une société humaine est d’accompagner ses anciens au moment de leur départ. Les découvertes des premières traces de l’humanité ont été des tombeaux ou des sépultures qui témoignent de la pratique de rituels funéraires. Toutes les cultures ont des rituels de deuil ! Même si nous comprenons bien l’impérieuse nécessité de protéger les autres et de ne pas propager le virus, les règles strictes imposées par la situation actuelle, semblent nous déshumaniser. Ne pas pouvoir dire adieu, ne pas revoir le corps, ne pas accéder aux rituels funéraires, donne le sentiment de ne pas avoir honoré son mort. L’absence de tous ces rituels n’est pas sans conséquence et nous expose à des deuils plus difficiles.

Serge Hefez, psychanalyste, témoigne aujourd’hui de son deuil : sa mère est décédée très récemment dans son EHPAD, atteinte par le Coronavirus. « Grace à la directrice de l’EHPAD qui a eu la très grande gentillesse de me laisser passer les derniers moments avec elle et bien, je l’ai vue revivre (…) ! Elle est morte quelque temps après. Je peux vous dire que cette expérience de l’accompagnement, si je ne l’avais pas eue, aurait rendu le deuil beaucoup plus compliqué » confesse-t-il. Il porte ce témoignage aujourd’hui dans l’espoir que chacun puisse aussi avoir cette chance.

L’empathie est la capacité émotionnelle qui permet de comprendre la souffrance de l’autre. Grâce à elle, il est possible de le soutenir sans s’approprier sa souffrance ni tomber dans la contagion émotionnelle qui tire vers le bas. Au sein d’une « cellule de confinement » (familiale, par exemple), il est possible d’être à la fois « aidant » et « aidé », mais il peut parfois être nécessaire de faire appel à un tiers extérieur professionnel.

Le psychiatre Boris Cyrulnik, nous propose son point de vue : “Le traumatisme de l’épidémie provoque une adaptation. La résilience : cette faculté humaine à se développer malgré l’adversité ne peut qu’aboutir à l’émergence de nouvelles manières de penser l’existence”.

Comment donc rendre hommage à ce proche disparu pour continuer à vivre ?

Trouver le temps de penser à lui, se rappeler ce que l’on a vécu ensemble, mesurer ce qu’il nous a transmis en héritage… Les rituels de deuil permettent de parler du mort, de lui dire adieu. Ces paroles aident à se détacher de lui.

Rien n’interdira d’inventer des rituels à la sortie du confinement pour se retrouver ensemble autour d’une tombe ou ailleurs. L’important sera de se rassembler car ces rituels sont toujours des moments de retrouvailles entre ceux qui ont partagé de l’affection avec le disparu. Sans attendre, dès aujourd’hui, il est possible, en famille, d’échanger sur ce qu’on a vécu avec la personne, de regarder des photos autour d’une bougie, de faire écrire une lettre au défunt par les enfants…

Et peut-être que finalement, bien que privés de ces rituels de départ, nous parviendrons à inventer quelque chose d’encore plus fort.

Parlez et échangez avec les autres !

Brisez l’isolement avec les moyens du bord !

Soyez indulgent avec vous-même !

Demandez de l’aide et apportez-en !

Accrochez-vous donc à la vie !

En cas de besoin, consultez des professionnels de santé qui seront à l’écoute et de bon conseil.

Espace Droit Famille est un lieu d’accueil et d’écoute ! N’hésitez pas : prenez contact !

Le 6 avril 2020

Gabriela Ducaud , Psychologue Clinicienne, Espace Droit Famille

Valérie Trillard, Médiatrice familiale, thérapeute familiale et de couple, Espace Droit Famille

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